mardi 1 décembre 2009

De la fracture numérique à la facture numérique

De la négation d'une "technologisation" béate de nos sociétés.

Il me plaît de partager inc et nunc avec vous l'éditorial très édifiant de Olivier Sagna sur la fracture numérique sénégalaise, qui reste applicable en bien des points à nos pays africains. La Société de l'Information est avant tout et surtout une QUESTION SOCIALE que les technophiles ou technophobes de tout acabit le veulent ou non. Lisez plutôt...
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A peine le Fonds de solidarité numérique (FSN) a-t-il bénéficié d’un enterrement de 1ère classe ponctué par l’oraison funèbre prononcée sur sa tombe par le Président Abdoulaye Wade que les marchands du temple ont fait leur apparition au Sénégal ! En effet un mois jour pour jour après l’annonce de la dissolution du FSN, une délégation française conduite par un collaborateur d’Alain Madelin, Président du FSN, était au Sénégal pour vendre le projet de fournir 40.000 tableaux blancs interactifs (TBI) à notre pays sous prétexte de réduire la racture numérique et d’apporter l’éducation numérique pour tous. Ce projet, dont le coût est estimé au bas mot à 40 millions d’euros soit la bagatelle de plus de 26 milliards de Francs Cfa, n’a rien d’un geste de solidarité envers notre pays et ses élèves privés de l’accès aux technologies de l’information et de la communication (TIC) comme certains pourraient naïvement être tentés de le croire. Il s’agit en réalité d’une opération commerciale dont les principaux bénéficiaires seront les fournisseurs de ces équipements et leurs associés, la facture étant réglée par le Sénégal qui devrait notamment se voir allouer un prêt de la Banque africaine développement (BAD) à cet effet. Que l’on nous comprenne bien, la dénonciation de cette opération n’est en rien une prise de position contre l’introduction massive des TIC dans notre système éducatif qui est une nécessité incontournable pour former les ressources humaines en phase avec le nouvel environnement dans lequel se meut désormais le Sénégal à l’échelle globale. Le problème est simplement que la lutte contre fracture numérique ne se réduit pas à un déploiement massif d’infrastructures de télécommunications et d’équipements informatiques car c’est une problématique extrêmement complexe qui va bien au-delà des questions d’équipement même si celles-ci sont importantes. La fracture numérique pose en réalité la question des cinq C que sont la connectivité, les compétences, les contenus, les coûts et le contrôle qui sont inextricablement liées et qui influent en permanence les unes sur les autres. La connectivité, c’est tout ce qui touche à l’infrastructure d’accès aux TIC, entendue au sens large, et qui va des réseaux de télécommunications jusqu’aux terminaux mis à la disposition des utilisateurs. Certes beaucoup reste à faire en la matière mais des progrès importants ont été accomplis et souvent cette infrastructure est sous-utilisée. Les compétences, c’est tout ce qui concerne la formation des ressources humaines non seulement à l’utilisation des TIC mais également à leur appropriation, leur maintenance et surtout leur production. Les contenus, ce sont les logiciels et les applications en tous genres, dont les contenus pédagogiques, par rapport auxquels l’enjeu le plus important est à la fois celui de l’adéquation au
contexte sénégalais mais également celui de la production. Les coûts quant à eux sont essentiels en ce qu’ils déterminent d’une part l’accès aux TIC et d’autre part la pérennité des dispositifs mis en place tant d’un point de vue économique que social. Enfin le contrôle recouvre tout ce qui est du domaine de la gouvernance de la Société de l’information tant à l’échelle locale, nationale, régionale, continentale que globale, dimension que l’on ne saurait ignorer dans la perspective de la construction d’une société libre, démocratique, juste, solidaire, équitable et durable. Comme on le voit, si introduction massive des TIC dans le système éducatif il doit y avoir, cela ne peut se faire au détour de projets isolés mais dans le cadre d’une stratégie dotée d’un nombre limité d’objectifs précis, dont la mise en œuvre repose sur des moyens identifiés et mobilisables et un calendrier contraignant, le tout permettant la réalisation d’une vision partagées par tous les acteurs du système éducatif et au-delà par les différentes composantes organisées de la société. Faute d’emprunter cette démarche, notre pays sera pendant encore longtemps condamnée à payer la facture numérique sans pour autant que ne se réduise la fracture numérique.

Par Olivier Sagna, Secrétaire général d’OSIRIS